Hélène Grimaud
 
 

 
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Hélène Grimaud
Pianiste Française.


 
 




Née à Aix en Provence en 1969, Hélène Grimaud, enfant difficile : "in-soumise,in-satisfaite ,in-disciplinée...."après avoir été inscrite par ses parents à diverses activités sportives, découvre le piano à l'âge de sept ans auprès de Françoise Tarit. Ses dons se révèlent très rapidement, et il est conseillé à ses parents de la faire poursuivre des études de piano au Conservatoire de Aix en Provence. En 1982, son professeur : madame Courtin, lui conseille de poursuivre ses études au Conservatoire de Paris et, après avoir entendu Hélène Grimaud jouer, Pierre Barbizet, au conservatoire de Marseille, propose de la préparer aux examens d'entrée.

Hélène Grimaud est reçue au conservatoire de Paris en 1982,dans la classe de Jacques Rouvier. Elle obtient le premier prix de piano trois ans plus tard. La même année (1985) elle enregistre la sonate numéro 2 de Rachmaninov qui lui vaudra le Grand Prix du disque. Elle poursuit durant deux années les études de troisième cycle réservées aux meilleurs lauréats.

1987 marque un tournant dans décisif dans sa carrière : elle participe au Midem de Cannes, le festival de piano de la Roque d'Anthéron, interprète son premier récital en soliste à Paris, joue avec l'orchestre de Paris sous la direction de Daniel Barenboïm et joue avec de nombreux orchestres d'autres nations. A 21 ans, elle s'installe en Floride.

Hélène Grimaud est aussi connue pour sa passion pour ...les loups. Elle étudie le comportement de cet animal après avoir obtenu tous les diplômes nécessaires, elle est correspondante de plusieurs organisations scientifiques. Depuis 1991 elle les élève dans un village du Connecticut (South Salem) au coeur de la forêt , tout en poursuivant sa carrière de pianiste internationale.

Hélène Grimaud est aussi connue pour sa passion pour ...les loups. Elle étudie le comportement de cet animal après avoir obtenu tous les diplômes nécessaires, elle est correspondante de plusieurs organisations scientifiques. Depuis 1991 elle les élève dans un village du Connecticut (South Salem) au coeur de la forêt , tout en poursuivant sa carrière de pianiste internationale.

 

 
Piano

Son premier disque consacré à Rachmaninov a obtenu le Grand prix de l'Académie du disque; puis Hélène Grimaud a édité trois autres récitals d'œuvres de Chopin, Liszt, Schumann et Brahms, ainsi que le Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov et le Concerto pour piano en sol majeur de Ravel.

Sa virtuosité Son jeu est réputé comme instinctif, mature et sensuel. Hélène Grimaud n'hésite pas à attaquer des oeuvres difficiles (Rachmaninov, Liszt...) nécessitant une forte virtuosité et à laquelle elle ajoute sa propre sensibilité donnant aux oeuvres une intensité spécifique, appréciée largement par le public.

Voici par exemple ce que dit Stéphane Villemin dans "La Scena Musicale" de l'un de ces concerts à Toronto:

"Contrairement à certains de ses jeunes collègues, Hélène Grimaud ne semble pas plus embarrassée par le tapage médiatique que par la réussite lorsqu'elle est à son piano. Voici une pianiste qui sait garder la tête froide. Ses interprétations laissent à l'auditeur cette impression d'évidence mêlée d'une pointe d'ingénuité apparente, faisant oublier la rigueur de son rythme et la concision de ses phrasés.

Il n'en fallait pas plus pour réussir ce concerto de Mozart. Si l'on rajoute les finesses de ses nuances, la délicatesse du toucher, la justesse des chants et des contre-chants, cela en fait une grande mozartienne qui rejoint le cénacle des rares pianistes susceptibles de transcender l'apparente simplicité de cette musique. Comme Schnabel le faisait remarquer: "On demande volontiers aux enfants de travailler Mozart car sa musique comporte une petite quantité de notes; les adultes évitent de jouer Mozart du fait d'une trop grande qualité des notes". Tels Haskil et Horszowski, Hélène Grimaud y réussit l'équilibre entre le Kindlich et le Meisterlich.

Pour couronner le tout, elle catalyse magistralement la chimie des ensembles par le biais d'une forte présence scénique. Ses regards complices vers le chef et l'orchestre, tout comme ses sourires au public s'effacent rapidement pour faire place à la concentration quand elle joue. Il va sans dire que l'entente avec le TSO fut des plus réussies.

Hélène Grimaud possède l'intelligence de la simplicité mais aussi la simplicité de l'intelligence."


Q u e l q u e s    c i  t a t i o n s

La musique est un prolongement du silence, elle est aussi ce qui la précède, ce qui retentit au coeur du morceau

Se défaire des habitudes quotidiennes du corps, c'est se donner la chance d'un autre rapport à la pensée

Le corps conditionne le raisonnement.

Un artiste est presque toujours tendu sur le bord du délire.

Moi, la musique m'a convertie, elle m'a sauvée.

J'en suis sûre, les artistes respirent le monde par leurs paumes...

Variations sauvages

Hélène Grimaud raconte les aventures d'une enfant prodige qui se double d'une enfant terrible: ses relations passionnées avec la musique, les concours, la compétition, mais aussi sa rupture avec le monde parisien, son exil aux États-Unis à l'âge de vingt ans, sa nouvelle vie faite d'un temps de doutes et de désespoir puis sa renaissance, grâce à sa rencontre avec les loups et sa volonté de les défendre. Si Hélène Grimaud raconte ici son parcours, elle donne aussi pour la première fois la clef de son univers intérieur, sa relation si particulière aux mystères propres à la musique et aux loups, qui ont fait d'elle un icône au charisme incontesté. En plus de son récit d'une enfance et d'une adolescence turbulentes, on trouve des réflexions sur Brahms ou Dostoïevski, l'évocation de villes et de paysages aimés, ainsi qu'une description détaillée de ses loups, à la fois objet d'angoisse et de fascination, sa relation quotidienne avec eux, les idées fausses mais encore mythes de toutes les traditions attachées à ces animaux sauvages qui enseignent d'abord à aimer la liberté.

Plus qu'une autobiographie, Hélène Grimaud donne à lire un ouvrage aux allures de roman, dans la lignée de ceux de Jack London : elle mêle anecdotes et histoires à un regard sur la nature, une vision philosophique et une célébration du romantisme, seul recours pour réenchanter le monde.

(Mot de l'éditeur)

Extrait

"Je me suis immédiatement et totalement investie dans la musique parce que la musique me donnait du plaisir. Cette heure de piano était l'heure bleue de ma semaine. Je rêvais encore d'être vétérinaire, ou avocate - pour redresser les torts. Mais avec le piano ? J'allais de plaisir en bonheur, de découvertes en révélations, de joies en expériences physiques de la liberté. Ainsi, un jour, j'ai pu lire les études de Chopin et en jouer certaines. Comment expliquer ce sentiment ? (...) J'avais la pierre philosophale pour transmuter l'encre et le papier en une architecture mélodieuse, un monde profond, doux et fort, et ce jour-là j'ai vécu physiquement le mot accord, l'accord plaqué sur le piano, cette dissymétrie du jeu de mes mains pourvoyeuses pourtant de notes et qui donnaient l'harmonie parfaite, et m'élevaient par les degrés d'un ordre merveilleux. J'enfantais un nouveau verbe. Je volais."

 
 
Hélène Grimaud, pianiste - article paru dans Télérama, par Bernard Mérigaud

Le piano la sauva de ses obsessions, ses loups la protègent des requins du show-biz. Rencontre (risquée) avec une virtuose stupéfiante.

"Une louve parmi les loups"

Le territoire d'Hélène Grimaud se situe en haut d'une colline du Connecticut, à une heure de train de New York. Par sa rusticité, sa maison tient plus du refuge intime que d'une villégiature pour pianiste harassée par les applaudissements. Elle vous demande d'ignorer l'odeur de boucherie qui flotte sous l'appentis, vous convie à entrer. Avec un rien de nervosité dans le décontracté, elle tourne en rond dans son salon-cuisine à l'américaine. "Confort ?" dit-elle en désignant le canapé, "ou inconfort ?" suggère-t-elle en se calant sur une spartiate chaise de bar, avant de s'esclaffer: "Moi, je choisis toujours le plus inconfortable ! "

Mais une fois qu'Hélène Grimaud se plante en face de vous, elle ne vous lâche plus des yeux. Les rôles s'inversent. Le journaliste devient proie sous son regard d'un gris minéral, opalescent ou mat comme l'acier, selon qu'elle parle avec fièvre, se retire en elle-même ou contient un agacement. C'est elle qui pose les questions en flairant votre vie. Sa voix, bizarrement détimbrée, avec des tonalités de gorge parfois très sourdes, se libère progressivement pour atteindre des éclats de rire d'une sauvage gaieté. Dans les bois, tout près, des hurlements déchirent l'automne glacial.

Le visiteur met du temps à saisir ce comportement un rien intrigant. Plus tard, quand nous nous rendrons auprès des loups qu'elle élève, Hélène Grimaud parlera du contact avec ses protégés : personne ne les approche de son propre chef, ce sont eux qui vous acceptent sur leur territoire, selon leurs propres règles, jamais les mêmes d'un animal à l'autre. Pour l'heure, une détente dans la voix, plus fluide, un relâchement dans le corps peuvent s'interpréter comme l'acceptation de vos premières questions.

A 30 ans, Hélène Grimaud affiche quinze ans de carrière et le sentiment d'être devenue une autre, évoquant avec lucidité ses premiers souvenirs de gamine à Aix-en-Provence. Turbulente, "agitée de l'intérieur, trop pleine d'énergie mentale", asociale, fuyant les enfants de son âge, "stupides, méchants et cruels", rien n'apaise la fillette de 9 ans : ni danse classique, ni arts martiaux. Jamais classe d'éveil musical ne porta aussi bien son nom que celle où Hélène Grimaud rencontra un piano. Instinctivement, l'enfant pressent que cet instrument la contiendra, à tous les sens du terme.

"J'aurais pu choisir un instrument à cordes, plus organique, riche de résonances internes immédiates, mais cela ne me convenait pas. D'emblée, j'ai aimé le rapport d'affrontement, de conquête avec ce piano né en même temps que la révolution industrielle et qui ne peut jamais être une extension de vous-même. Le jour où j'ai attrapé un violon, j'ai trouvé sa ligne de chant trop linéaire. Le piano, avec ses voix superposées, ses sonorités étagées, correspondait bien à mon esprit à tiroirs."

Tiroir. Compartiment. Rangement. Ordre. La jeunesse d'Hélène Grimaud se partage entre un fonctionnement à l'instinct, débordant, éruptif, et la quête obsessionnelle d'un équilibre intérieur. "Vers 6 ans, quand je me blessais à une main ou à une jambe, je m'infligeais aussitôt la même blessure à l'autre main ou à l'autre jambe, en symétrie. C'était la seule manière de ne plus éprouver la sensation d'être subitement au bord d'un précipice, de retrouver une paix intérieure.

Plus tard, je me mis à sortir tous les vêtements de mes placards, pour les replier inlassablement, avec une règle. Il fallait que je retrouve le même nombre de millimètres de part et d'autre du col. Vers les 15 ans, ce fut un problème d'espace. En tournée, quand je rentrais dans ma chambre d'hôtel, je réorganisais tout selon mon ordre personnel. Quand je revenais tard dans la nuit, après une répétition ou un concert, si la femme de chambre avait tout remis d'aplomb, je ne pouvais pas allumer la lumière avant d'avoir replacé tous les objets selon ma perception initiale.

Cela m'a passé vers mes 20 ans. J'étais au Japon, au 78e étage d'un hôtel. Je venais d'acheter un pull magnifique avec un motif de dauphins. Toute la nuit, je me suis posé une question fondamentale : "Vais-je le porter ou non? Car, si je le porte, je risque de l'abîmer." Au petit matin, j'ai ouvert la fenêtre et j'ai balancé le pull ! J'en avais marre d'être esclave de mes obsessions!"

Heureusement, surtout, que ce ne fut pas le piano qui passa par la fenêtre ! Hélène Grimaud n'en fut jamais esclave. Car elle a toujours eu d'autres projets de métiers en tête : psychologue... ou éthologue (étude du comportement animal). D'ailleurs, pourquoi se serait-elle révoltée contre son instrument, le moins asymétrique de tous, avec l'emploi des deux bras déployés comme un balancier d'équilibriste ? Le solfège non plus ne l'a pas rebutée, bien au contraire, puisqu'il repose sur des règles précises, une logique quasi mathématique. Surtout, elle fut soutenue par des parents enseignants, certes inquiets, mais attentifs à laisser leur fille unique s'épanouir sur un tabouret de pianiste plutôt qu'en s'épanchant sur le divan d'un psy. En deux ans, Hélène Grimaud intègre le conservatoire de Marseille, dans la classe de Pierre Barbizet. "Il mettait l'accent sur la couleur et le rythme, les rapports de timbres dans l'espace. Il acceptait toutes les sonorités pourvu qu'elles sortent du plus profond de vous-même, sans inhibition. Il parlait littérature, peinture, architecture, à coup d'images dépassant de loin la technique musicale. Avec lui, je décollais toutes les minutes, et ses cours particuliers pouvaient dépasser les trois heures. J'en ressortais laminée, embrouillée, sans repère sur moi-même, minée par le doute... et néanmoins obligée de faire le point, d'avancer. J'ai toujours la même attitude, je ne progresse qu'après des états d'extrême confusion".

A 13 ans, la pianiste est reçue au Conservatoire de Paris. Elle plane, toute seule, dans d'incessants allers et retours en avion. "Même si j'ai eu des parents formidables, chaleureux, ouverts à toutes les discussions, j'ai probablement perdu ce sentiment de provenance, de racines, à cette époque-là. A 14 ans, j' envisageais déjà de partir pour de grands espaces."

Pour faire décoller son imaginaire, Hélène Grimaud parcourt les steppes de la littérature russe. "J'aime ces caractères tourmentés, ces psychologies tortueuses. Le prince Mychkine, surtout, dans L'idiot, de Dostoïevski : grand, mal perçu par son entourage, capable de toutes les folies, mais se résignant aux choix les plus humains. Mon premier disque fut consacré à Rachmaninov car je tentais de retrouver en musique les sentiments soulevés par mes lectures. En 1986, j'ai présenté le concours Tchaïkovski, à Moscou, pour vérifier que les gens de la rue ressemblaient aux personnages de romans, excessifs, impulsifs, chaleureux, portant leur déséquilibre avec superbe, à fleur de peau. La réalité est presque plus belle que la fiction."

Au Conservatoire de Paris, Jacques Rouvier tente de dompter un tel tempérament : "Il a pris le temps, avec une patience infinie, de consolider les bases techniques qui me faisaient défaut. J'ai eu la chance d'avoir deux professeurs différents, mais dans le bon ordre : Pierre Barbizet m'a rendue accro aux mondes enfouis dans les partitions ; avec Jacques Rouvier, j'acceptais sans rechigner lui travail plus austère, puisqu'il permettait d'accéder à des beautés supérieures." Dans un rire adolescent, Hélène Grimaud évoque pourtant son caractère cabochard. "En bon pédagogue, Jacques Rouvier m'imposait de travailler les études de Chopin et de Liszt. Moi, j'aimais les oeuvres à grandes lignes, à grand souffles, comme le Premier Concerto de Chopin et la Deuxième Sonate de Brahms. Je ne travaillais donc pas 1e programme des examens, à la plus grande inquiétude de mon professeur. En retour, il refusait de m'aider à préparer mes fichues oeuvres ! Heureusement, l'orchestre des anciens du conservatoire d'Aix-en-Provence accepta de m'accompagner dans le Premier Concerto de Chopin. Satisfaite d'être allée jusqu'au bout de ma volonté, je jouai même les fameuses études en bis... et j'apportai la cassette à Jacques Rouvier. "

A la patience, celui-ci ajoute la générosité en faisant écouter l'enregistrement à son propre producteur de disques, qui veut aussitôt signer Hélène Grimaud. Son premier disque Rachmaninov, à 15 ans, lui offre une passerelle naturelle dans le circuit professionnel. La pianiste n'aime pas trop parler de cette période chahutée qui suit sa sortie de Conservatoire.

Beauté radieuse, elle ne maîtrise pas alors vraiment son image et accepte malgré elle de poser pour des magazines dans des robes qui ne lui ressemblent pas. Des cornacs de tous bords l'aiguillonnent aussi jusqu'à l'écoeurement pour qu'elle se spécialise dans Chopin, "qu'elle joue si bien". Elle se débat pour interpréter Brahms, dont les remous sonores attirent cette Ophélie, Schumann pour son âpre désespoir, Beethoven pour cet appel prométhéen à se dépasser soi-même. Les journalistes se ruent sur l'oiselle : l'un s'impose comme mentor stylistique, l'autre la prend comme marraine d'un de ses rejetons et le troisième se comporte en parrain. "Les gens qui vous découvrent vous collent aux basques. Ceux qui sont passés à côté jugent votre talent suspect. Et quand vous êtes aimable avec chacun, tout le monde attend toujours plus de vous. J'aurais dû garder une certaine distance."

Hélène Grimaud trouve un havre auprès de Pierre Vozlinsky, le regretté directeur général de l'Orchestre de Paris. Il lui ouvre les porte des répétitions... et les oreilles. "Subitement, j'ai pris conscience que la musique n'était pas uniquement liée au piano. J'ai mesuré l'étroitesse de mon horizon, moi qui avais abordé le piano comme une bouée de sauvetage, en ingurgitant tout ce que je pouvais en un temps record, entre 9 et 15 ans. Je suis sortie d'une période où j'abordais les œuvres comme elles me venaient. Je me suis mise à réfléchir jusqu'à une paralysie névrotique.

Tant que je n'avais pas envisagé toutes les options d'une oeuvre, je n'avançais plus. Une fois que je les avais toutes en tête, je ne me décidais pas. En musique, tout, et son contraire, est valide. C'est le festival de musique de chambre du violoniste Gidon Kremer, à Lockenhaus, qui m'a appris à mettre les éléments en perspective. Et à trancher.

Aujourd'hui, j'attaque une oeuvre directement au piano, dans la matière musicale, car je tiens à cette dimension primitive de plaisir. Une fois cette familiarité créée avec l'instrument, je m'en éloigne, partition en main. Sa lecture vérifie souvent mes premières intuitions. Mais le fait d'imaginer d'autres phrasés, d'autres tempi, d'autres dynamiques, d'autres couleurs renouvelle les points de vue, défriche des pistes. Même si, ensuite, je reviens à mon premier jet, il prendra une dimension autre. C'est toute la différence entre ne pas choisir et choisir en sachant pourquoi. Est-ce un chemin à parcourir pour constamment se vérifier soi-même ou un rituel de travail? "

En 1991, après avoir hésité à s'établir dans cette Allemagne dont elle aime la littérature mais pas l'ordre rigide, Hélène Grimaud prend du recul à Tallahassee (Floride). Un regard change sa vie : celui d'une louve qu'un vétéran du Vietnam garde chez lui. Aujourd'hui encore elle ne peut mettre de mots sur cette rencontre, mais parle d'"une reconnaissance mutuelle". Elle passe un diplôme afin d'obtenir l'autorisation d'élever des loups chez elle, et espère maintenant achever son doctorat d'éthologie. Avec acharnement, la pianiste cherche un grand terrain, loin de toute habitation, mais proche d'un réseau de communication qui lui permettra de continuer d'exercer son métier. Les agents immobiliers du Connecticut lui proposent de somptueuses demeures, Elle opte pour une masure à retaper et quelques hectares de bois sans vis-à-vis. Là, derrière un double grillage, dans l'enclos même, louve parmi les loups, elle peut observer ses congénères en noircissant des cahiers entiers de notes.

Hélène Grimaud parle d'une relation d'égalité avec ses loups. "Si, parmi eux, vous n'êtes pas présent à 100 %, cela peut devenir dangereux. Rien n'est jamais acquis, chaque comportement dépend de l'organisation hiérarchique de la meute", précise-t-elle en enfilant une combinaison et des bottes matelassées avant de franchir la porte de l'enclos. "Je n'ai pas peur d'être mordue, mais pour vous reconnaître, vous tester, le loup commence par mordre vos vêtements. Si je porte une veste que j'aime bien et que je le repousse, même gentiment, j'instaure un rapport agressif risqué. Aussi, là, je suis tranquille". Nous pas, quand dans une décontraction constamment vigilante, elle joue, les prend à bras-le-corps, leur mordille l'oreille tout en vous engageant à poursuivre la discussion, le silence vous semble plus prudent. On s'en voudrait que, d'une faute d'attention, la belle n'héritât d'un coup de croc. Plus loin, elle s'agacera que les médias exploitent sa passion animale. Une fois encore, son image lui échappe. Sa maison de disques lui en refuse non seulement le contrôle, mais va jusqu'à imprimer des traces de pattes de loup sur son dernier album Beethoven...

Hélène Grimaud s'enflamme alors pour justifier sa passion pour le seul prédateur rivalisant avec l'homme. Dans les sociétés anciennes, de Romulus et Remus à Gengis Khan, en passant par les tribus indiennes, le loup fut un modèle avant de devenir la face féroce de l'inconscient humain, à exterminer coûte que coûte. Surtout depuis que, il y a deux mille ans, naquit l'"agneau de Dieu".

Les loups ont aidé la pianiste à se reconstruire en lui créant des obligations de présence. Elle ne s'absente jamais plus de dix jours et n'accepte donc pas n'importe quel concert. Elle puise une force nouvelle dans son contact viscéral avec la nature, qui relativise les faux-semblants de la vie d'artiste. De jour comme de nuit, il faut nourrir les loups, jamais à heure fixe ni en disposant la viande au même endroit, ou alors ils deviennent soit névrosés, soit léthargiques. Hélène Grimaud affirme même que ses animaux l'ont réconciliée avec le genre humain, tant elle s'émerveille des classes d'enfants qui défilent chez elle, dénués de tout a priori.

Entre piano et loup, elle ressurgit plus forte encore pour des concerts tout en énergie où chaque oeuvre, au lieu d'être noyée dans une opulence sonore envahissante, est cernée, condensée au plus profond de sa pulsation vitale. Elle offre ses doutes comme des certitudes, se livre et s'abandonne dans des tensions aiguës, rarement apaisées. Très physique, remuante, elle a conscience de parfois provoquer un malaise en concert. "Si je ne projette aucune charge émotionnelle, autant rester chez moi".

Hélène Grimaud évolue doucement. Moins de concerts avec des oeuvres de longue haleine où personne, ni elle ni le public, ne peut décrocher en cours de route. "Je dose mieux les pièces qui exigent un grand souffle et les pièces courtes. J'ai appris à prendre un plaisir plus simple en concert, sans risquer la noyade à chaque fois. Et je préfère de plus en plus le récital, où je suis responsable de mes échecs, aux concertos avec grands orchestres, où l'ego du chef se vautre en travers de la musique."

N'étant pas à un paradoxe près, la pianiste évoque alors avec une émotion quasi muette ses rapports avec Kurt Masur (Quatrième Concerto de Beethoven) et Kurt Sanderling (Premier Concerto de Brahms), qui, tous deux, fournirent une assise orchestrale magistrale à son épanouissement de soliste. Mais même la perfection a son revers : "Après un tel niveau de fusion, vous redoutez davantage le concert suivant : un miracle ne se reproduit pas, vous tremblez de salir un souvenir si magnifique. C'est comme bisser une œuvre que vous avez jouée au cours d'un concert. Si vous faites mieux, vous êtes furieuse d'avoir raté votre concert. Si vous faites moins bien, vous êtes bonne pour l'asile."

Pour Hélène Grimaud, un concert est réussi lorsque l'oeuvre l'a visitée, à travers différents niveaux de conscience. Elle peut s'y engloutir au point de peiner pour regagner les rives du réel. Parfois, une autre elle-même la regarde au-dessus du piano. Ou, subitement, des pensées saugrenues lui traversent l'esprit concernant une connaissance dans la salle. "Avez-vous remarqué comme le public ne tousse jamais durant les fortissimi au concert, mais durant les pianissimi ? Comme si une émotion mise à nue intolérable. Cela me fait songer aux gens qui rient aux enterrements pour évacuer l'insoutenable."

Bernard Mérigaud

 
  (sources: piano bleu et Hélène Grimaud, evene, citations du monde,
La Scena Musicale, Soul Catcher)
 
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Contact: pariroma@fr.st, tél.(01) 42 54 10 31.
    

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